D. Charachidzé – L’Insurrection de 1924 et la Terreur

Monsieur-CharachidzéExtraits du Chapitre « L’insurrection et la terreur » – Publié dans le livre de D. Charachidzé « H. Barbusse, Les Soviets et la Géorgie ». Editions Pascal. Paris. 1929

 

(cf. 1922 : contexte de transformation de la RSFSR en URSS)

P 132 « D’après la réforme de la Constitution soviétique élaborée à Moscou, toujours sans participation des communistes géorgiens, la République soviétique géorgienne entrait dans l’union des RSS non pas sur le pied d’égalité avec l’Ukraine, la Russie Blanche (cf. Biolérussie) et la RSFSR (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie), mais en tant que partie de la Fédération soviétique de la Transcaucasie. Lorsque le projet de la nouvelle constitution fut soumis au Comité central communiste géorgien, ce dernier le rejeta à une grande majorité, traita de « nationalisme grand-russe » et de « colonialisme » la politique de Moscou et demanda de sauvegarder les attributs de « l’indépendance » de la Géorgie. Une lutte aigüe s’engagea entre Moscou et Tiflis, lutte qui devait se terminer par la défaite des  communistes « nationaux » géorgiens ; ils furent destitués et remplacés des postes du gouvernement , ainsi que du Comité Central géorgien, et même bannis de Moscou. Moscou les fit remplacer par ses fidèles et ce n’est qu’après ce petit coup d’Etat que la décision moscovite au sujet de l’entrée de la Géorgie Soviétique dans l’URSS put être réalisée. Les documents concernant toutes ces luttes  ont été publiés dès 1923 dans les éditions socialistes européennes (en outre dans la « Vie Socialiste » de Paris) ; on trouve leur confirmation dans le récent livre de Trotsky, publié en français (La Révolution défigurée. ED. Rieder. Paris. 1929). »

 (…) « c’est là un fait bien caractéristique de la situation en Géorgie après sa conquête par la Russie soviétique : la volonté de recouvrer l’indépendance de leur pays est si forte dans les masses populaires géorgiennes, qu’elle a influencé même la mentalité de la section géorgienne du parti communiste panrusse). Cette volonté unanime de la nation avait trouvé sa manifestation directe dans la lutte irréductible que menaient toutes les classes sociales contre les pouvoirs d’occupation, dès le lendemain de l’invasion.Moscou y répondit par une terreur implacable dont les masses ouvrières et paysannes furent les premières victimes. Elle prit un tour particulièrement féroce à partir de 1923 ; on trouve une description détaillée du système de terreur, appliqué, à cette époque, contre le mouvement populaire en Géorgie, dans le rapport déjà plusieurs fois cité du Comité Central communiste géorgien: « Déjà au début de 1923″, rapporte le document au Congrès communiste de 1924, « le Comité central a sanctionné l’application de la peine de mort à toute une série de menchéviks. » Et après :  »  Aux mois de janvier et février, des dizaines de dirigeants du parti menchevik ont été déportés hors de Géorgie. Au mois de mai -80 autres… » « En janvier, puis en mars, avril, mai et juin, la Commission Extraordinaire (la Tchéka) procéda à des arrestations massives ayant pour but de s’emparer des militants illégaux du parti menchevik. La dernière opération d’arrestation en masse eut lieu au mois de juin. »(P. 5). Et pour résumer l’œuvre sanglante, accomplie en 1923 par la Tchéka en Géorgie, le rapport cite les paroles suivantes de deux chefs moscovites : « Le camarade Trotsky qui a récemment (en 1924. D. Ch.) séjourné à Tiflis, caractérisa la situation en Géorgie comme suit :  » En 1922, Staline me disait : »Il faut labourer la Géorgie en long et en large pour y anéantir la force et l’influence du menchevisme « . On peut considérer à présent cette besogne comme terminée. La Géorgie est labourée dans une mesure suffisante pour que le menchevisme ne s’y puisse plus maintenir » (« Matériaux », P. 5).

A l’époque même où se poursuivait ce « labourage en long et large » du corps vivant de la nation géorgienne, la vie économique et sociale du pays était réduite à un état de dévastation, de misère et de famine, analogue à celui qui régnait en Russie soviétique : l’activité industrielle et agricole décroissait de manière vertigineuse, le chômage et la famine sévissaient dans les villes, l’agriculture n’avait plus de débouchés pour ses produits et la population rurale n’était plus capable d’acquérir des produits industriels. La ruine générale poussait les masses à la résistance; et la terreur sanglante ayant barré la voie à tout mouvement pacifique, les masses commençaient fatalement à s’orienter vers des moyens violents de lutte. Dès 1922, la province de Svaneti entra pour des mois en insurrection ouverte contre les autorités d’occupation. Une autre province montagnarde, celle de Khevsoureti, suivit son exemple dans le courant de l’automne de la même année. Et si ces soulèvements locaux ne gagnèrent pas le reste du pays, ce n’est que grâce à l’influence des organisations sociales-démocrates qui employèrent toute leur autorité à maintenir les masses ouvrières et paysannes dans les bornes du mouvement pacifique. Cependant, la terreur, redoublant d’intensité et la ruine économique et la misère allant grandissant, l’esprit insurrectionnel ne tarda pas à se généraliser, et l’élan des masses entraîna les organisations elles-mêmes.

Le peuple géorgien tenta l’effort suprême de briser l’étreinte des baïonnettes étrangères qui lui avaient apporté la ruine et le servage, pour redevenir maître de son propre sort.

cf. (L’insurrection)

 Dans la nuit du 27 au 28 août un soulèvement éclate à Tchiatouri, centre industriel le plus important du pays, celui de la production de manganèse. Le 28 août, au matin, le pouvoir était aux mains des insurgés, pour la plupart ouvriers des exploitations de manganèse. La nuit suivante, toute la Géorgie occidentale se levait; la province de Gourie, les deux districts de Mingrélie, toute l’Iméretie, les districts de Ratcha, Letchkoumi, Svaneti…Jamais un pouvoir ne s’était révélé aussi faible, aussi dépourvu de racines dans le peuple que le pouvoir bolchévik en Géorgie. Jamais un mouvement populaire n’avait fait preuve d’une telle unanimité et d’une telle discipline. Partout à la campagne, le peuple avait renversé les autorités soviétiques et ceci sans coup férir, sans victimes. Les représentants du gouvernement bolchévique furent placés sous bonne garde, mais de l’aveu même des communistes, aucun acte de vengeance ne fut perpétré. Le mouvement gagnait également la Géorgie orientale, mais, dans les villes principales où étaient concentrés l’Armée et les nombreuses Tchéka, les bolchéviks restèrent maîtres de la situation. Régiments russes, trains blindés, avions, artillerie et cavalerie, détachements communistes, formations de la Tchéka, – tout fut mis en mouvement et dirigé de Tiflis et de Batoum contre les provinces insurgées. L’insurrection fut noyée dans le sang.

 (…) P. 140 « Nous croyons superflu d’insister sur le caractère populaire de l’insurrection géorgienne. Il existe tout une littérature bolchevique étudiant et précisant les causes économiques du mouvement d’août 1924. (cf. De nombreux extraits de cette littérature ont été reproduits dans diverses langues européennes. Voir « Der Terror in Russland und Georgien », édition de l’internationale socialiste et « La délégation des Trade-Unions Britanniques et la Géorgie » (en français), édition du Parti Social-démocrate Géorgie, Paris).) (…) Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’œil sur les procédés et le nombre des victimes de la répression du mouvement insurrectionnel pour ne plus douter de son caractère de masse ». (…)

« Qu’on écoute maintenant ce qu’en disait, quelques jours après les exécutions d’août-septembre 1924, M. Kakhiani, aujourd’hui, secrétaire du Parti Communiste Géorgien. La « Rabotchaïa Pravda », journal russe de Tiflis, reproduisait dans le numéro du 11 septembre le texte de son rapport officiel sur l’insurrection, exposé dans une réunion publique à Tiflis. On y lisait ce qui suit : … » les menchéviks se sont montrés sans caractère et faibles, des « invertébrés » qui firent un soulèvement démocratique suivant les règles démocratiques, et qui ne surent mettre à mort aucun de nos camarades bien que nous les ayons fusillé par centaines et que nous ayons même exécuté des membres de leur Comité central. » (…)

 P. 142 « C’est le 28-29 août, à l’heure où les pouvoirs bolchéviks n’avaient pas encore capturé aucun insurgé que commencèrent les exécutions. C’était donc exclusivement des prisonniers sans défense, détenus de longue date, que la Tchéka livrait à la mort. Dès les premiers jours furent publiées deux ou trois listes « panachées », comprenant des noms de meneurs social-démocrates bien connus, entremêlés de ceux de victimes d’origine noble. Ces listes, devant symboliser l’alliance des social-démocrates avec d’anciens nobles et officiers du tsar, furent transmises par l’agence moscovite à la presse occidentale, comme une confirmation de la légende de l’« aventure réactionnaire », déjà lancée par Moscou. Mais l’on cessa ensuite de publier les noms des victimes sans toutefois pour cela cesser des assassinats. Au contraire, ordre fut donné de massacrer à toutes les Tchékas locales; c’est ainsi que pendant plusieurs nuits, on tua partout des prisonniers sans défense, n’ayant aucun rapport avec l’insurrection; on tuait sans dresser de listes, sans compte-rendu (…). Tout menchévik, tout suspect qu’un bolchévik rencontrait dans les rues de Tiflis risquait d’être arrêté, trîné à la Tchéka pour être fusillé la nuit même. C’est ainsi qu fût lâchement assassiné, parmi bon nombre d’autres, le vieil ouvrier Vasso Tabadzé, l’un des pionniers du mouvement socialiste en Géorgie, alors fonctionnaire soviétique en province, qui par un hasard fatal pour lui, arriva à Tiflis, pour affaires de service, au début de l’insurrection.

(…) A Batoum, une ouvrière, Agathe Gordéladzé, fut fusillée pour la seule raison d’avoir donné asile à son beau-frère, également ouvrier, recherché par la Tchéka et fusillé lui aussi. 12 prisonniers malades furent extraits de l’Hôpital de la prison Metekhi et fusillés. Aucune province géorgienne ne fut à l’abri des exécutions en masses qui eurent lieu pendant ces jours horribles.

Dans un seul village de Rouissi, en Karthli, les bandes de tchékistes assassinèrent plus de 30 personnes de la famille Paniachvili : hommes, femmes, enfants, n’épargnant même pas des bébés de 3 ans. En Mingrélie, les Tchékas n’ayant pas suffi à la besogne sanglante, les troupes russes des corps de répression furent appelées à la rescousse pour tuer des centaines d’hommes à la fois.

A la prison de Thélavi en Kakhétie, une véritable nuit de la Saint-Barthélémy fut organisée…

 Mais le nombre exact de victimes doit être ignoré de la Tchéka elle-même. On peut affirmer sans crainte d’erreur, qu’il a largement dépassé le chiffre de 3000. Nous avons pu rétablir jusqu’à 200 noms de prisonniers exécutés à Tiflis, 100- à Tchiatouri, jusqu’à 600 dans d’autres provinces. Cependant ces chiffres ne représentent qu’une partie des fusillés. Des centaines de noms manquent même pour Tiflis et Tchiatouri. Quant aux provinces éloignées du centre, comme celles de Mingrélie, Ratcha, Tetchkoumi et autres on n’a pu se procurer en ce qui les concerne que des renseignements de fortune.

Pour compléter le tableau des tueries pendant les jours d’insurrection, nous reproduisons l’extrait d’un document significatif à beaucoup d’égards ; il s’agit du discours de défense de Koté Andronokachvili, président du Comité insurrectionnel, discours qu’il prononça devant les juges bolchéviks en 1925. Un « Comité d’indépendance de la Géorgie » dit « paritaire », composé de représentants de 3 partis politiques géorgiens (en réalité 4), se trouvait à la tête du soulèvement. Tous ses membres furent capturés par la Tchéka au début septembre 1924, quand l’insurrection n’était encore réprimée que partiellement. Cinq furent amenés à la Tchéka de Tiflis. Pour la raison que l’on apprendra tout à l’heure, ils n’ont pas été mis à mort. Un an après l’insurrection, on les traduisit devant un ‘Tribunal spécial ». Au cours du procès, connu sous le nom de « procès du Comité de l’Indépendance », son président Koté Andronikachvili, vieux militant socialiste, ayant été condamné au bagne par le tribunal du tsar, faisait devant les juges bolchéviques le dramatique récit suivant :  » Nous subîmes une défaite. Le Comité de l’Indépendance fut capturé tout entier. On s’empara de nous dans la forêt de Chio-Mghvimi, où nous nous trouvions réfugiés. On nous conduisit à Tiflis : moi, Jason Djavakichvili, Mikh. Botchorichvili, G. Djinoria; Mikh. Ichknéli fut arrêté à Tiflis et conduit le jour même, 4 septembre, à la Zak-Tchéka (Tchéka Transcaucasienne). Chacun de nous fut enfermé isolément dans une cave de la Tchéka. Il va sans dire que nous savions qu’on ne nous ménagerait pas, aussi étions-nous prêts à l’exécution. Dans ma cellule entra le président de la Zak-Tchéka, Moguilevsky, pour me proposer de faire une déclaration suivant laquelle le Parti social-démocrate géorgien aurait commis une grave faute, organisé une aventure et y aurait entraîné le peuple. Il était évident pour moi que semblable déclaration, humiliante pour le parti social-démocrate, tout en me préservant de la mort, serait utilisée par les communistes. Aussi répondis-je par un refus catégorique. Quelques minutes après, Moguilevsky revint. Même proposition, même réponse de ma part. La conversation se poursuivait à haute voix et était entendue par mes camarades. Moguilevsky, fâché, claqua la porte et, environ cinq minutes après, on m’emmena de la cellule pour me conduire dans une grande pièce pleine d’employés de la Tchéka. Dans un coin se tenaient debout, les mains liées avec une corde, J. Djavakichvili, Djinoria et Botchorichvili. A quelque distance d’eux, et à mon grand étonnement, j’aperçus Georges Tsintsadzé (un militant du parti soc.-dém., n’ayant eu aucun rapport avec l’insurrection. D. Ch). On m’arracha mon manteau et on me lia les mains avec une corde. On me mit à côté de Djavakichvili, Botchorichvili et Djinoria. Jason Djavakichvili s’adressa à moi en ces termes : « il faut trouver une issue quelconque ». Je répondis : « Tout est fini. On m’a proposé de déclarer publiquement, au nom du parti social-démocrate que le mouvement n’était qu’une aventure organisée par le parti; j’ai refusé ». Djavakichvili me répondit : « Béria, vice-président de la Tchéka de Géorgie, propose au «  »Comité de l’Indépendance » de trouver une issue à la situation actuelle ». – « Je ne sais pas de quelle issue parle Béria – répondit-je, – mais je ne m’opposerai pas à ce qu’on aprenne de lui en quoi consiste sa proposition ». Sur leur demande, on conduisit les prisonniers ligotés dans le cabinet du président de la Tchéla où le nommé Béria leur tint le langage suivant : « Vous êtes vaincus, mais des combats partiels continuent par-ci, par-là. Certes, nous arriverons à exterminer aussi ces détachements, mais il sera nécessaire de répandre le sang en vain. C’est vous, le Comité, qui pouvez arrêter ces détachements armés; faites une déclaration et recommandez aux détachements isolés de nous livrer les armes et, de notre côté, nous ne toucherons pas à leurs personnes et nous arrêterons également les exécutions en masses.  » Après une telle communication, – poursuivait Andronikachvili, – nous comprîmes, avec évidence, que notre rôle n’était pas terminé… ». Les tractations entre les hommes politiques se trouvant au seuil de la mort et les bourreaux continuèrent : « Nous étions tous assis, les mains liés (raconta Andronikachvili aux juges), et c’est dans cet état que nous poursuivions les pourparlers. On ne nous délia les mains qu’au milieu de ces pourparlers… Djinoria, ayant été arrêté en Géorgie Occidentale, était au courant de la situation de ces régions ; il n’ignorait pas non plus ce qui se passait sur la route de Tiflis ; c’est ainsi qu’il nous fit un court exposé dans lequel il signalait que le nombre d’emprisonnés était grand, que les arrestations continuaient toujours, qu’on fusillait en masse et que d’autres attendaient leur tour; il en avait été lui-même témoin. » Les condamnés à mort acceptèrent la proposition des bourreaux, de signer la déclaration à condition qu’on donnât immédiatement l’ordre de cesser les exécutions en masse. Béria nous répondit, poursuivait Andronikachvili : « si le Comité est d’accord pour publier la déclaration, à l’instant même, en votre présence, le gouvernement donnera partout l’ordre, par fil direct, de cesser les exécutions ». A ma question – la décision de la Tchéka serait-elle approuvée par le gouvernement ? – il répondit : « Ce qui sera décidé dans ce cabinet, est en même temps la décision du gouvernement ». Il faut savoir qu’assistaient à ces tractations, en dehors de Béria : Moguilevsky –président de la Tchéka Transcaucasienne- et Moroz – l’un des hommes les plus puissants et les plus cruels du Guépéou de Moscou.

Le marché fut conclu. « Je dois avouer en toute vérité, ajoutait Andronikachvili, que le gouvernement tint sa promesse : je connais des faits indéniables certifiant que la nuit même où nous signâmes la déclaration (c’était le 4 septembre, après 3 heures du matin), à Batoum, Tiflis, Signakh, des centaines de prisonniers, prêts à être fusillés, évitèrent l’exécution ». Quant à la « déclaration », obtenue au prix du sang, la Tchéka demanda, en outre, aux membres du « Comité de l’Indépendance » d’y qualifier d' »aventure le mouvement d’août et de proclamer que c’était les couches supérieures de la population qui y avaient pris part. « Il nous fut pénible, disait Andronikachvili à ses juges, d’accepter ces propositions : nous prononcions ainsi contre nous-même une sentence de mort politique ; nous portions ensuite atteinte au mouvement même, encore, savions-nous que les communistes les utiliseraient largement, et ils l’on déjà fait…, mais nous avons préféré sauver au prix des paroles « aventure » et « couches supérieures de la nation » ce qui pouvait encore être sauvé, d’autant plus, que tout Géorgien qui jugerait attentivement la situation, comprendrait bien de quoi il s’était agi ; et les mots  « aventure » et « couches supérieures de la nation » ne changent rien au soulèvement d’août et ne diminuent point l’importance de ce mouvement populaire et de masses ».

Ce récit que nous empruntons au compte-rendu sténographique du discours de Koté Andronikachvili, soulève un coin du rideau qui voile aux yeux de l’étranger les procédés immoraux et perfides, appliqués par la Tchéka en Géorgie contre les mouvements de masses, ainsi que contre les prisonniers politiques.

 (…) Le récit d’Andronikachvili révèle aussi l’ignoble système, pratiqué par la Tchéka, consistant à marchander, à des hommes déjà ligotés pour être fusillés, le reniement de leur passé, la disqualification de leurs actes à l’encontre de leur conscience, ceci au prix de leur vie et du sang de combien d’autres personnes.

Nous y apprenons, en même temps,  que des centaines et des milliers de prisonniers furent fusillés non pas pour expier leurs « crimes », non pas pour des délits quelconques, mais dans le but de semer la terreur, d’intimider la population, de démoraliser les insurgés. Notons enfin que la déclaration du « Comité de l’Indépendance », extorquée par la Tchéka dans les révoltantes conditions qu’on a lues plus haut, fut immédiatement publiée dans la presse soviétique et répandue à l’ étranger où de longs commentaires lui furent consacrés par les « Humanité » de tous les pays.

(…) Nous donnons à la fin de ce livre la liste de 100 personnes fusillées à Tchiatouri aux jours de l’insurrection de 1924, avec les nom, prénom et état social de chaque victime. On verra que sur 100 personnes exécutées de cette façon, il y avait 46 ouvriers, 13 paysans, 11 employés, 12 étudiants – tous sortant du peuple, 8 instituteurs, etc. De même, parmi les prisonniers exécutés ailleurs, les paysans et les ouvriers étaient en grande majorité…

Si le pouvoir bolchévik avait cessé de publier les listes de fusillés, c’est pour ne pas révéler au monde qu’il avait contre lui les masses ouvrières et paysannes ; c’est dans le même but qu’il avait acheté au prix du sang la « déclaration » du « Comité de l’indépendance » qu’il eût préféré voir signée par Andronikachvili en tant que représentant du parti social-démocrate.

P 152. « Moscou ne se contenta pas de faire assassiner les prisonniers inoffensifs en Géorgie. Aux premiers jours de l’insurrection, elle fit exécuter plusieurs prisonniers politiques géorgiens qui, non seulement avaient été arrêtés avant août 1924, mais se trouvaient, à cette époque, déportés en Russie et incarcérés dans la prison de Souzdal. A la nouvelle de l’insurrection, les prisonniers : Noé Homeriki, arrêté au mois de novembre 1923, Benjamin Tchikvichvili, Goguita Pagava, Vasso Nodia et Georges Tsinamzgvrichvili, tous arrêtés plusieurs mois avant août 1924, furent extraits de la prison de Souzdal, conduits au Guépéou de Moscou puis dirigés vers Rostov en un lieu et dans des conditions qui, aujourd’hui encore, demeure le secret de leurs bourreaux.

Cet acte de barbarie provoqua l’indignation unanime des milieux socialistes européens. M. Barbusse est le premier en Europe qui se soit solidarisé avec les bourreaux de ces otages.(…)

 Si ces prisonniers géorgiens devaient expier leurs soi-disant « crimes », pourquoi le pouvoir soviétique ne les avait-il pas livrés en son temps en Géorgie même à un tribunal public qui aurait révélé au monde la valeur de cette accusation posthume ? Les « garanties laissées à l’accusé » dont se vante le tchékiste de M. Barbusse, n’exigeraient-elles pas de faire la preuve, avant le châtiment, des actes incriminés ? Mais c’est de façon inverse que procède la « justice » soviétique : elle tue ses ennemis politiques « à la brigand », à la faveur de la nuit pour formuler, après l’assassinat, des accusations à retardement. N’est-il pas honteux qu’un Henri Barbusse trouve naturel semblables procédés ?

De même si ces prisonniers politiques devaient être punis pour avoir « élaboré l’insurrection d’août », pourquoi la « justice » soviétique n’en a-t-elle pas déféré à un tribunal, ne fût ce que ce « Tribunal spécial » qui en 1924 devait juger à Tiflis les véritables chefs de l’insurrection, Andronikachvili et les autres ?

Comment expliquer ce fait étrange que les dirigeants effectifs de l’insurrection, dont aucun n’a cherché à se dérober à sa responsabilité, aient été « jugés » en grande cérémonie, avec une parodie de procès public, de témoins convoqués, d’accusateurs officiels et de défenseurs, et qu’ils n’aient été condamnés qu’à une réclusion de 8 à 10 ans, tandis que Khomeriki, Tchikvichvili et Djouguéli, arrêtés plusieurs mois avant l’insurrection, et dont les deux premiers avaient même été déportés en Russie, aient été exécutés sommairement, à la première nouvelle de l’insurrection ?

Non, ce n’est pas de la « justice » et du « châtiment » des « criminels »que s’inspirait Moscou en ordonnant le meurtre des trois révolutionnaires, ainsi que celui de tant d’autres ! Elle ne s’inspirait que de l’unique préoccupation de semer la terreur parmi la population géorgienne, de décourager et de démoraliser l’insurrection en marche. L’assassinat des innocents est par excellence la méthode soviétique de répression du mouvement populaire. Pour  démoraliser les insurgés, pour effrayer les populations qui seraient tentés de les rejoindre, il fallait frapper de grands coups, faire régner la terreur et verser le sang à flots : il fallait tuer, tuer vite et en masse. Et Moscou fit massacrer les prisonniers qui se trouvaient entre ses mains. Mais l’assassinat de centaines de prisonniers ne suffisait pas. Pour mieux impressionner la population, il fallait encore des hommes politiques connus, aimés, respectés par toute la Géorgie. Khomeriki, Tchikvichvili et Djouguéli en étaient, et Moscou les livra à la mort pour jeter immédiatement leurs têtes à la face de la Géorgie déjà en deuil et dans l’effroi.

 Quels étaient ces trois hommes dont M. Barbusse piétine la mémoire avec tant de cynisme ?

bios khomeriki,etc

bios khomeriki, etc 2

bios khomeriki, etc 3

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